INTERVIEW : Sarah, présidente d’e-graine Nouvelle-Aquitaine

À quoi ressemble l’éducation à la citoyenneté mondiale quand on la vit de l’intérieur ? À travers cette série de portraits, partez à la rencontre de celles et ceux qui font vivre l’ECM au quotidien. Leurs parcours singuliers, leurs engagements, leurs regards éclairent un mouvement vivant et multiple : e-graine. En mettant en lumière la diversité de ces visages, nous vous invitons à découvrir une autre façon de voir le monde, et peut-être, à prendre part à l’aventure. Aujourd’hui, nous vous présentons Sarah Partouche, présiente d’e-graine Nouvelle-Aquitaine. 

Qui es-tu et quel est ton parcours ?

Je m’appelle Sarah, j’ai 32 ans. Mon parcours est assez protéiforme : j’ai commencé des études en sociologie appliquée à la science politique, que j’ai terminées à l’étranger. En rentrant en France, il y a une dizaine d’années, je me suis retrouvée un peu perplexe sur ce que je pouvais faire de mes acquis, notamment la méthodologie sociologique. J’avais envie de concret, de faire, plutôt que d’être uniquement dans la réflexion.

C’est un concours de circonstances qui m’a amenée à Bordeaux, une ville où je n’avais aucune attache particulière. Là, j’ai rencontré Aude Bourgeois, qui cherchait à structurer l’association en Nouvelle-Aquitaine. Elle m’a parlé du service civique, un dispositif que je ne connaissais pas, en le présentant comme une mission de mobilisation citoyenne. Cela m’a parlé : j’avais envie de contribuer, de rencontrer des gens, d’échanger… et cela a été ma porte d’entrée vers l’éducation populaire.

À l’époque, nous étions une petite équipe de trois : moi, mobilisatrice, Gaëlle, chargée de projet et animatrice, et Aude, coordinatrice. Cette première année de service civique m’a permis de découvrir un mode d’organisation que je ne connaissais pas : celui de l’économie sociale et solidaire et du fonctionnement associatif.

Quel a été ton parcours au sein de l’association ?

Après mon service civique, j’ai évolué vers un poste salarié comme animatrice et co-formatrice, ce qui m’a donné envie de renforcer mes compétences dans ce domaine. J’ai travaillé un peu plus de deux ans en tout, puis la vie m’a emmenée à La Réunion. Même à distance, je suis restée très attachée au projet, notamment au programme d’éducation aux migrations Un univers citoyen, sur lequel je voulais continuer à réfléchir.

J’ai alors intégré le Conseil d’administration (CA) avec l’envie de participer aux réflexions stratégiques. Au fil des années, j’ai occupé plusieurs rôles, de simple administratrice à secrétaire pendant trois ans et dernièrement celui de présidente de l’association Nouvelle-Aquitaine. Depuis quatre ans, je siège aussi au CA de l’Union en tant que représentante locale, avec un fort investissement dans les groupes de travail sur la gouvernance et le projet associatif.

Qu’est-ce qui t’a motivée à rejoindre e-graine à l’époque, en 2015 ?

Au départ, c’était un peu un entre-deux : le service civique me permettait de faire un « truc sympa » tout en étant indemnisée, le temps de réfléchir à mon orientation professionnelle. Mais la rencontre avec Aude a été déterminante. Son enthousiasme et sa vision m’ont conquise.

Très vite, j’ai vu e-graine comme un terrain d’expérimentation pour acquérir des savoirs, apprendre à transmettre et à débattre autour des enjeux écologiques et sociaux. Cela m’a ouvert à un autre monde professionnel, fondé sur l’intérêt général et la coopération, loin du fonctionnement capitalistique que j’avais connu auparavant.

Après plus de 10 ans d’engagement, quel regard portes-tu sur l’évolution d’e-graine ?

Pour e-graine Nouvelle-Aquitaine, je vois deux grandes phases : une première période de croissance, où nous répondions à un réel besoin et où tout semblait possible, et une deuxième phase marquée par les limites structurelles et financières, ainsi que par le départ des membres fondatrices.

Pour le mouvement dans son ensemble, je pense que nous avons beaucoup progressé sur la professionnalisation de nos métiers. Nous avons façonné le métier d’éducateur à la citoyenneté mondiale, et si demain il est reconnu, ce sera en grande partie grâce à ces années d’expérimentation. En revanche, nous avons peut-être perdu un peu de notre ancrage citoyen non-professionnel, en ne prenant pas toujours le temps de massifier nos outils auprès du grand public.

C’est quoi l’ECM pour toi ?

L’ECM, c’est un courant de pensée au-dessus des clivages : nature, humanité, vivre ensemble, éducation populaire, éducation formelle… C’est le liant qui relie des pédagogies et des approches diverses autour d’une valeur centrale : la coopération. Peu importe d’où l’on vient ou les outils qu’on utilise, si on partage cette vision, on peut travailler ensemble.

Ce n’est pas une utopie : des expériences existent déjà, à différentes échelles, et ont prouvé leur efficacité. Pour moi, c’est un chemin réaliste, même si cela demande de se donner les moyens de l’inventer collectivement.

Qu’est-ce qui nourrit ton engagement depuis toutes ces années ?

Ce sont avant tout les personnes avec qui je vis cet engagement. Les rencontres, les réflexions collectives, les moments de phosphoration lors d’assemblées générales ou de groupes de travail… Ces instants d’intelligence collective, qu’ils aboutissent à un projet concret ou restent à l’état d’idée, me nourrissent profondément.

Qu’est ce que tu aimerais transmettre à celles et ceux qui rejoignent e-graine aujourd’hui ?

La foi dans le changement que cet engagement a nourri en moi. Le sentiment de faire partie d’un tout plus grand que soi, de réfléchir et d’agir ensemble, de tester, se tromper, apprendre.

Pour moi, s’engager dans un collectif, c’est un lieu de recharge, pas une dépense d’énergie. Cela apporte du sens, de la joie, et c’est un formidable moyen d’être heureux à plusieurs.

Quel est ton rêve ?

Que tout le monde ait accès à la compréhension et à l’envie de s’engager. J’aimerais voir des campagnes de communication qui disent : « Foncez !» “Même si vous n’avez qu’une demi-heure par mois ou une semaine de vacances à offrir, engagez-vous : vous en sortirez grandi.”

Ton meilleur souvenir chez e-graine ?

Le dernier séminaire à la Maison des Alternatives à Chennegy, réunissant pour la première fois des responsables locaux, des coordinateurs de service et les membres de l’Assemblée générale de l’Union. Pendant un jour et demi, nous avons concrétisé nos utopies, pris de la hauteur, créé des alliances… Un moment magique qui m’a rappelé pourquoi je m’engage.

Une action ou un projet qui t’a marquée ?

Le programme Univers Citoyen, et notamment un dispositif avec des jeunes aux parcours très différents, réunis pour réaliser un petit film. Entre apprentissage technique, rencontres interculturelles et moments de partage, cela a créé des ponts entre des personnes qui ne se seraient probablement jamais rencontrées autrement.

Et si e-graine était une musique ?

Pour moi, celle qui résonne le plus avec nous, c’est la chanson de HK – citoyen du monde. Parce qu’il a mis en musique des concepts que nous, on a essayé d’intellectualiser, de remettre en mots dans des documents très complexes. Mais il dit ce qu’on veut dire en trois minutes et avec beaucoup de joie, et peut être qu’on aurait pu alléger nos communications diverses et variés. Parfois, ça fait du bien de savoir que ce qu’on veut dire c’est pas si compliqué !

Un grand merci à Sarah pour son témoignage et son engagement depuis toutes ces années !