Table ronde populaire « Exil Queer » : une rencontre à l’intersection des luttes

Le 16 juin dernier, les Chantiers de la Garonne (Bordeaux) ont accueillit une table ronde populaire “Exil queer: récits de personnes ayant migré pour leur orientation sexuelle et/ou identité de genre”, co-construite par e-graine Nouvelle-Aquitaine, Women Across The Borders et Le Girofard. Une soirée puissante où les vécus migratoires et queer ont été mis en lumière à travers des témoignages poignants, des performances sensibles et un public attentif.

Une initiative née à l’intersection des besoins

Cette initiative est née à l’intersection de plusieurs dynamiques : d’un côté, la volonté de la ville de Bordeaux de promouvoir les diversités et les luttes LGBT+ à travers la pride et l’organisation du Mois des Fiertés, avec un focus sur l’intersectionnalité ; de l’autre, le souhait d’e-graine Nouvelle-Aquitaine (EGNA) de développer des actions éducatives à l’intersection des “origines et OSIG” (Orientation Sexuelle et Identité du Genre) et une éducation populaire antiraciste et inclusive en croisant les thématiques des migrations, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Suite à un partenariat réussi pour la Quinzaine de l’égalité en novembre 2024 entre la ville et EGNA, l’association a de nouveau été soutenue via un appel à projets pour mettre en place cette initiative.

Cette table ronde s’inscrit également dans la stratégie nationale du programme d’éducation aux migrations Un Univers Citoyen d’e-graine, qui encourage à explorer les enjeux migratoires en lien avec des thématiques complémentaires. Là où e-graine Occitanie s’investit fortement, et nourrit le mouvement e-graine sur la thématique des migrations environnementales, EGNA, en complémentarité avec d’autres associations régionales e-graine, a choisi d’explorer plus en détails les migrations sous le prisme du genre.

Depuis plusieurs années, e-graine cherche à intégrer une approche féministe et intersectionnelle dans ses projets éducatifs liés aux migrations. Cela s’est notamment traduit par un travail spécifique sur les migrations de femmes (cf Exposition Lisa créée par e-graine Hauts-de-France). Mais les enjeux de genre ne peuvent être réduits à la condition féminine, et encore moins à sa version hétéronormée. Ce constat a renforcé la volonté d’EGNA d’élargir sa compréhension des réalités queer migrantes et de se former collectivement à leur complexité. Nous croyons que cette démarche est indispensable pour renforcer notre lecture du monde et proposer une éducation populaire réellement inclusive.

Dans le contexte actuel, cette orientation prend tout son sens. Pour œuvrer à des sociétés plus justes, nous avons besoin de visibiliser les premiers et premières concerné·es, de favoriser la solidarité entre les luttes antiracistes, féministes et LGBT+, et d’adopter une approche intersectionnelle qui permet de saisir les enjeux dans toute leur richesse. Ces trois dimensions sont essentielles pour complexifier les récits migratoires et sortir des représentations simplistes. L’éducation, si elle les intègre dans ses pratiques, peut devenir un véritable accélérateur de transformation sociale.

Une co-construction militante et joyeuse

Le projet a émergé au moment du dépôt d’un dossier Erasmus+ de coopération « TransmigrationS » (Présentation du projet à la fin de l’article), ce qui a motivé EGNA à tester une première action éducative sur le terrain afin de permettre à l’association d’apprendre des choses et de défendre la cause antiraciste de manière intersectionnelle.

La table ronde a été rendue possible grâce à une belle synergie et complémentarité associative. Après une première rencontre avec Women Across The Borders (WATB) pour cadrer l’idée et définir les responsabilités, les deux structures ont sollicité Le Girofard, déjà engagé sur les questions LGBT+ et l’accompagnement des demandeur·ses d’asile queer. Enthousiasmé par le projet, Le Girofard a accepté d’intégrer la table ronde populaire à sa programmation « Hors les murs » du Festival des Fiertés, et Darwin a proposé d’en accueillir la tenue, en cohérence avec leur propre programmation autour des migrations LGBT+ en juin. WATB a également permis de mobiliser des intervenantes concernées par les thématiques de l’exil et du genre. Enfin, EGNA, fidèle à son rôle de tisseuse de liens, a piloté la coordination entre les différentes parties, la communication externe et l’accompagnement de bénévoles engagé·es sur cette soirée.

Une réunion de préparation commune a posé les bases du dialogue, autour de la question centrale : « Qui sommes-nous, et qu’est-ce qu’on (ne) veut (pas) raconter sur les migrations LGBT+ ? » Le résultat : un format vivant, participatif, non académique, conçu pour valoriser l’authenticité des voix et créer un espace d’écoute et d’échanges.

Une soirée vibrante et transformatrice

Trois intervenant·es ont partagé leurs parcours d’exil, leurs expériences en tant que personnes LGBT+, leurs blessures et leurs victoires. Loin des discours victimisants, ils et elles ont exprimé le besoin de raconter les deux versants de leur histoire : les traumatismes, mais aussi les reconstructions, les rencontres, les fiertés. À l’issue de cette table ronde populaire, ils et elles ont exprimé leur satisfaction d’avoir pu témoigner librement et leur envie de renouveler ce type de projet.

Le pouvoir de transformation était palpable : l’un des intervenant·es a pris l’initiative de contacter en amont de la table ronde populaire Bobo Perita, militante trans togolaise, qui a partagé son témoignage en vidéo.

D’autres intervenantes se sont investi·es dans le projet de manière non-verbale : Step A au travers de la danse et la mise en corps, Zeynab par la préparation de cupcakes pour tous·tes les participant·es.

Le public – une cinquantaine de personnes – a répondu avec chaleur. Certain·es ont pris la parole, d’autres sont venues remercier discrètement à la fin. Tous·tes ont partagé un moment de vérité, de douceur et de force.

La table ronde s’est conclue par une séquence poétique et intime sur les “couleurs et personnifications de l’amour”, où l’émotion a percé subrepticement tout du long:

“ L’amour est noir, comme la couleur de mes cheveux”
“ Love, for me, is white, like the colour of peace”
“ Pour moi, l’amour est Ambre, qui m’accompagne et me soutient tous les jours”
“ L’amour a les couleurs de l’arc-en-ciel, comme Le Girofard qui est à nos côtés”
“Jaune, Bleu et Rouge : car on peut créer toutes les couleurs qu’on veut à partir de ces 3 couleurs”
“Pour moi, l’amour n’est pas une couleur ou un visage, mais plutôt ces espaces-là”.

Et maintenant ?

Du côté des organisateur·rices, l’émotion est toujours vive. L’envie de poursuivre est là : se retrouver, s’écouter encore, inventer la suite. Car cette soirée n’était pas une fin en soi, mais un point de départ. Un pas de plus pour faire de l’éducation populaire un levier de société inclusive, fondée sur la reconnaissance des vécus croisés, des luttes solidaires, et de la richesse des récits pluriels.

Merci encore à Adi, Jean et Ninelle d’avoir porté leur voix dans cet espace, à Faidra, Ambre et Izyati d’avoir créé cet espace et facilité ce temps et à tous les bénévoles mobilisé·es sur cette soirée.

Merci également à la ville de Bordeaux et au Fonds de Développement de la Vie Associative pour le soutien financier.

Et c’est d’ailleurs avec la plus grande joie que nous remercions l’Agence Erasmus+ France Jeunesse & Sport pour le soutien accordé au projet TransmigrationS.

Mené par EGNA en partenariat avec trois organisations européennes, le projet TransmigrationS se déploiera d’octobre 2025 à décembre 2027. Il a pour ambition de proposer des récits alternatifs, dignes et ancrés dans le réel, sur les migrations liées au genre et aux identités queer. Il vise également à améliorer la qualité du travail de jeunesse et de l’éducation non formelle sur ces enjeux, à créer des espaces d’expression pour les jeunes dans la lutte contre le racisme et les LGBT+phobies, et à explorer l’impact des approches inclusives et intersectionnelles dans la réalisation de ces objectifs.

Pour y parvenir, le projet mise sur le renforcement des compétences des travailleur·euse·s de jeunesse et des éducateur·rice·s, à travers une grande diversité d’activités. Il mobilise également les jeunes, ainsi que les femmes migrantes et les personnes migrantes queer, en tant que bénéficiaires mais aussi en tant qu’acteur·rice·s à part entière du processus. À terme, TransmigrationS espère que les personnes concernées se sentiront mieux représentées et écoutées, que les professionnel·le·s gagneront en confiance et en expérience pour porter l’éducation aux migrations par le prisme du genre, et que les jeunes s’engageront activement dans la construction de sociétés plus inclusives.