Le vivre-ensemble à l’affiche
Les biopics consacrés à des personnages historiques aux destinées hors du commun sont nombreux. Le cinéma est aussi friand de héros qui font face à des situations extrêmes : guerres, catastrophes en tout genre, invasion d’extra-terrestres… Inspirés du réel, pure fiction ou science-fiction, ils mettent en valeur la témérité, l’abnégation, le sacrifice. Mais, parfois, des cinéastes inspiré·es mettent en scène des héros du quotidien qui surgissent à l’échelle d’une communauté. Dans des microcosmes scrutés à la loupe, ces personnages ordinaires ne sauvent personne, encore moins la planète et ne changent pas le cours de l’histoire. Ils agissent à un petit niveau. Pourtant, ce sont des films qui nous bouleversent et qui restent pour toujours accrochés à notre mémoire.
Deux films, deux visions
77 ans séparent la sortie de « La Vie Est Belle » de celle de « The Old Oak », hasard des chiffres qui résonne joliment avec l’expression de « 7 à 77 ans » …
« The Old Oak » sorti en 2023 est ancré dans une Angleterre déprimée et déprimante où tout semble aller à vau l’eau. Le réalisateur Ken Loach, 87 ans, y poursuit son portrait des laissés pour compte, avec le style réaliste qui lui est propre : décors naturels, justesse sociologique et dialogues écrits à partir d’entretiens récoltés sur le lieu de tournage, acteurs non-professionnels ou peu connus.
« La Vie Est Belle » de Frank Capra est sorti en 1946. Le film se déroule dans une petite bourgade américaine et se déguste comme un conte de Noël. Ce film est une ode à l’Amérique idéalisée de Capra, pour qui rien n’est plus important que le courage individuel face à l’adversité. Pour magnifier cette idée, le réalisateur y met tous les moyens à sa disposition : décor construit en studio, fausse neige, éclairage qui magnifie le noir et blanc de l’image, mouvements de caméra sophistiqués et acteurs-stars.
À priori, rien de similaire entre ces deux films. Et pourtant ! En racontant les impacts positifs de leurs personnages sur leur petit monde respectif, les deux cinéastes célèbrent, à leur manière, la solidarité et le vivre-ensemble.
L’entraide comme source du bonheur
Dans « La Vie Est Belle », Georges Bailey, un homme au grand cœur (incarné par James Stewart), voit ses rêves se briser sur la dure réalité de la vie. Il s’était promis de parcourir le monde et de devenir architecte. Mais au décès de son père, il est contraint de reprendre l’entreprise familiale, Bailey Building and Loans.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il favorise via l’entreprise de prêt l’accès à de meilleurs logements pour les habitant·es les plus modestes de la petite bourgade. Mais face à lui, le redoutable Henry Potter, parfaite incarnation du capitaliste vorace, fera tout pour anéantir cette entreprise prospère et humaniste… De péripétie en péripétie, les problèmes s’accumulent. Georges se croit ruiné. Acculé et désespéré, il est à deux doigts du suicide.
C’est alors qu’entre en scène un ange de seconde classe qui, pour obtenir ses ailes, doit trouver le moyen de le sauver. Cet ange loufoque et improbable, qui simule la noyade pour que Georges se jette à l’eau pour le sauver, réussi sa mission : en lui montrant ce que serait devenu ses proches s’il n’avait jamais existé, Georges réalise que ses actions, si modestes fussent-elles, ont amélioré leurs existences.
Ayant retrouvé foi en lui-même, Georges se précipite auprès de sa famille le soir de Noël où l’attend aussi la petite communauté qu’il a aidée, et qui en retour, a réussi à rassembler suffisamment d’argent pour sauver son entreprise. Scène finale de joie et d’allégresse si puissante que les larmes, immanquablement, jaillissent.
Un pub au coeur d’une humanité ressuscitée
Le pub, en Angleterre, c’est une institution qui remonte à des siècles. Diminutif du nom initial (« public house »), le pub est bien plus qu’un débit de boisson, c’est un lieu de vie, une deuxième maison pour tou·tes. Mais dans cette petite ville du Nord-Est de l’Angleterre, où magasins, bibliothèque, équipements sportifs… sont voués à la fermeture, même le seul pub encore ouvert, The Old Oak, est à la dérive. Tenu à bout de bras par un ancien mineur, Tommy Joe Ballantyne (campé par Dave Turner), ce pub est aussi le décor principal du film.
Dans ce contexte social difficile, gangréné par le chômage depuis la fermeture de la mine, l’arrivée d’un groupe de réfugié·es syrien·nes va cristalliser l’amertume et la colère des habitants. Mais, entre exclusion et racisme, surgit aussi un élan de solidarité.
Dès son arrivée en bus, Yara, âgée d’une vingtaine d’années (incarnée par Ebla Mari), est agressée par un jeune Anglais qui endommage son appareil photo. TJ Ballantyne, l’aide à le réparer et les deux protagonistes, tous deux passionné·es de photographie, se lient d’une amitié qui va soulever des montagnes.
Parce que comme le souligne Yara « When you eat together you stick together » (manger ensemble, c’est se serrer les coudes), tous deux décident d’organiser des repas pour tou·tes dans l’arrière-salle du pub, comme autrefois. Le défi est de taille, mais grâce à la contribution d’autres habitant·es, ils viennent à bout des travaux et réussissent à collecter de la nourriture. Pour certains, Syrien·nes comme Anglais·es, c’est la possibilité de manger à sa faim.
Le sabotage qui met à terre la cantine ne suffira pas à détruire le pont édifié entre les deux communautés, à l’image de la séquence où les habitant·es défilent une fleur à la main, lorsqu’ils apprennent la mort du père de Yara, resté en Syrie…
Ouvrir les yeux et faire sa part
Parfois, pour se rendre compte de la richesse, non pas pécuniaire mais humaine qui nous entoure, nous avons besoin d’un regard extérieur.
Dans « The Old Oak », c’est la jeune Yara qui porte ce regard. Ken Loach joue d’ailleurs très intelligemment sur cette métaphore en la dotant d’un appareil photo.
Dans « La Vie Est Belle », c’est un ange, à priori peu prometteur, qui ouvre les yeux du personnage par un tour de passepasse magique. C’est grâce à lui que Bailey réalise que malgré tout, la vie est belle et vaut le coup d’être vécue.
Les deux films sont des leçons d’optimisme et des tours de force cinématographiques qui échappent au sentimentalisme pour atteindre l’universel. Via l’émotion qu’ils suscitent, ils ouvrent aussi les yeux des spectateurs : faire sa part peut contribuer à améliorer le monde…
… tel le colibri qui, selon la légende, tente d’éteindre un incendie en portant goutte-à-goutte de l’eau dans son bec. Cette parabole utilisée pour la cause environnementale, rappelle que les petites actions individuelles en s’additionnant les unes aux autres peuvent avoir un impact positif sur des situations qui paraissent sans issue.
Le saviez-vous ?
-
- « The Old Oak » clôt la trilogie de films que Ken Loach a réalisé dans le Nord-Est de l’Angleterre, près de Durham. Après « I, Daniel Blake » et « Sorry we missed you », des films plus noirs, le réalisateur a voulu insuffler de l’espoir à son dernier opus.
- À sa sortie, « La Vie est Belle » rencontre un succès public et critique mitigé. Le grand cinéaste de l’entre-deux-guerres semble être passé de mode… Mais l’expiration des droits du film en 1974 permet à la télévision de le diffuser. Au fil des ans, « La Vie est Belle » devient le film de Noël par excellence. Film préféré de Frank Capra, il est aussi considéré comme l’un des 100 meilleurs films américains de tous les temps par l’American Film Institute.
Un grand merci à Rosaleen Crowley pour la proposition et la rédaction de cet article inspirant.
Ces deux œuvres font en effet écho aux valeurs véhiculées au sein du mouvement e-graine. L’optimisme, la solidarité, le respect, le vivre-ensemble… Tout ce qui contribue à rendre nos sociétés plus inclusives.
Elles nous montrent aussi que des situations qui semblent sans issue peuvent finalement se résoudre. Alors que l’état actuel du monde peut sembler désespérant, nous croyons qu’un autre monde est possible ! Un monde plus solidaire, responsable et respectueux. Nous avons tous et toutes le pouvoir de le construire collectivement. Transformons notre envie d’agir en pouvoir d’agir !
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