La Coopération, l’autre loi de la jungle
Depuis toujours, nous nous appuyons sur notre vision de la nature pour définir nos comportements, bien souvent négatifs. Par exemple, « l’homme est un loup pour l’homme » ou « la loi de la jungle » expriment tous deux une compétition sans merci entre les individus.
Pourtant, nous découvrons sans cesse de nouveaux exemples qui démontrent que dans la nature, la coopération est fondamentale à la survie et qu’elle participe à la diversité du vivant.
La coopération : un facteur de survie du groupe
Chez les animaux, la coopération entre individus d’une même espèce est à la base même de la survie. Un prédateur, même aussi rapide que le guépard, doit pouvoir bondir sur un individu isolé, et de préférence le plus vulnérable. C’est pourquoi dans la savane, les grands mammifères comme les gnous forment un troupeau compact autour de leurs petits.
Chez les insectes qui ont développé des sociétés complexes avec diversification des tâches, l’intérêt du groupe est parfois pris très au sérieux ! Ainsi, la fourmi « kamikaze » de Malaisie n’hésitera pas, face à un prédateur, à se faire exploser l’abdomen pour libérer les substances toxiques qui y sont contenues.
Parfois, les animaux s’autorégulent pour empêcher la surpopulation et la pénurie alimentaire, circonstances qui exacerbent la compétition et les conflits. Par exemple, quand ils sont en âge de se reproduire, les jeunes loups, les jeunes lions, et aussi les jeunes castors, quittent le clan et partent à la conquête de nouveaux territoires.
© Zaheer Ali
La coopération entre espèces : des échanges mutuels
La nature abonde d’exemples de coopération entre espèces différentes. Parfois, il s’agit de se prémunir contre un prédateur commun. Ainsi, le geai des chênes est un oiseau sentinelle. Quand il perçoit un danger, il pousse un cri strident pour alerter tous les habitants de la forêt.
Dans la savane, les pique-bœufs, profitent d’un bon repas tout en débarrassent les grands mammifères des parasites qui les dérangent. De même, dans les océans, les poissons nettoyeurs se nourrissent sur des plus gros poissons, parfois sur des requins. Mais durant cet échange de service, une trêve est conclue : le prédateur ne croquera pas son bienfaiteur.
Mais les nombreuses collaborations entre animaux ne sont que la partie émergée de l’iceberg ! Du champignon, par exemple, nous connaissons surtout le pied et son chapeau, c’est-à-dire son organe reproducteur. Mais la vraie vie du champignon se déploie sous terre via un immense réseau de fins filaments, appelés mycélium.
Neuf plantes sur dix collaborent avec des champignons, dont les arbres. Via leurs racines, ils procurent au mycélium du sucre produit par la photosynthèse. En échange, le mycélium transfère aux arbres de l’eau et des sels minéraux.
Sous nos pieds, sur à peine quelques m2, grouillent aussi des milliards de bactéries, de vers, d’insectes. Ce sont eux qui, en décomposant les matières organiques du sol, libèrent une forme d’azote indispensable à la croissance des plantes.
Et dans nos estomacs, des milliards de bactéries travaillent dur pour nous garder en forme !
Elles s’attaquent aux bactéries indésirables qui cherchent à nous coloniser tout en nous aidant à digérer et à synthétiser les vitamines que nous ingurgitons. En maintenant notre microbiote en bonne santé, ces bactéries assurent leur propre ressource alimentaire, donc leur survie.
La symbiose ou le vivre-ensemble
En biologie, symbiose signifie « vivre-ensemble ». C’est une forme de collaboration qui additionne les capacités de deux espèces différentes, comme le lichen, constitué d’une algue et d’un champignon.
Il y a des centaines de milliards d’année, cette symbiose a permis à une algue d’origine marine de survivre sur la terre ferme. Le champignon lui a fourni l’eau, le phosphore et l’azote nécessaire, et, en échange, l’algue a fourni au champignon des nutriments et un abri. Une alliance réussie qui permet aux 20 000 espèces de lichens dénombrées à ce jour de pousser dans des conditions extrêmes, là où aucune plante ne survivrait !
Les récifs coralliens ressemblent à des paradis aquatiques, mais ce sont des milieux pauvres en nutriments. Pour y survivre, les coraux sont le résultat d’une symbiose entre un animal appelé polype et une algue microscopique qui vit dans ses cellules, donnant au corail ses jolies couleurs. Le polype attrape de petites proies avec ses tentacules, dont les débris profitent à l’algue, qui elle fournit du sucre grâce à la photosynthèse.
Mais la symbiose ne va pas toujours dans le sens d’une coopération… ou du moins d’une coopération consentie ! Le mode opératoire des parasites, c’est de coloniser un hôte, mais aussi parfois d’en prendre le contrôle. Le minuscule crustacé nommé sacculine se fixe sous l’abdomen du crabe vert pour y puiser des nutriments. Mais il modifie aussi l’équilibre hormonal de son hôte, l’empêchant de se reproduire. La seule fonction du crabe, tant qu’il est parasité, est de nourrir la sacculine et de protéger ses œufs.
LUCA : un seul ancêtre commun
Toute forme de coopération met le doigt sur la longue coévolution qu’il a fallu aux organismes pour interagir. À l’image des plantes qui ont développé tout un art de la séduction pour attirer les insectes pollinisateurs via leur nectar, leurs odeurs ou leurs fleurs. Fixées au sol d’où elles puisent leurs nutriments, les plantes ne peuvent pas se déplacer pour se reproduire… Un sacré défi à relever quand on sait que pour pérenniser l’espèce, le pollen qui contient les gamètes mâles doit être déposé sur une autre fleur… mais qui arrange bien les abeilles, qui en font leur miel !
© Rosaleen Crowley
Quant à homo sapiens, il n’est pas apparu d’un coup non plus… Ce sont des millions d’années d’évolution que nous portons dans notre ADN, qui reste commun à près de 98 % avec le chimpanzé. Mais notre place s’enracine encore plus profondément dans l’arbre de l’évolution avec LUCA. Cet acronyme qui signifie « Last Universal Common Ancestor » est le nom de baptême d’une entité unicellulaire modélisée par les scientifiques au 20ème siècle. Même si LUCA n’a laissé aucune trace, cette théorie démontre que toutes les formes de vie actuelles, homme compris, descendraient d’un unique ancêtre commun.
La nature, c’est cette immense toile tissée par une longue histoire de l’évolution qui relie les organismes vivants via des interactions complexes et interdépendantes comme la coopération et la symbiose.
Ces connaissances nous permettent de dépasser le cliché d’une nature où seule règnerait une « loi du plus fort ». Elles nous permettent de poser un regard neuf sur le règne du vivant et de mieux protéger la biodiversité, dont nous faisons partie et dont nous dépendons.
Ces connaissances devraient aussi nous inspirer pour faire évoluer nos sociétés vers plus d’entraide et de coopération, des facteurs d’évolution bien plus constructives sur le long terme que la compétition…
Le saviez-vous ?
L’expression « L’homme est un loup pour l’homme » a été écrite par Plaute, un dramaturge de la Rome antique. Le sens initial était que l’homme face à un inconnu ressent de la peur. L’expression a été reprise par le philosophe britannique Thomas Hobbes au 17 ème siècle dans un contexte particulier de guerres civiles. Mais elle a échappé à son auteur : elle a été prise au premier degré, un sens littéral qui depuis a fait boule de neige…
L’expression « la loi de la jungle » provient du « Livre de la jungle » de Rudyard Kipling, écrit à la fin du 19 ème siècle. Elle a inondé la société anglaise de l’époque mais avec un sens dénaturé et négatif, bien différent de la vision de Kipling.
Et, pour finir, petite leçon de vie par Baloo, dans une version résolument positive du « Livre de la jungle » !
Un grand merci à Rosaleen Crowley pour la rédaction de cet article
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